Les voix du silence : Ashley Judd, Megan Twohey et Jodi Kantor

Les voix du silence : Ashley Judd, Megan Twohey et Jodi Kantor

Le film-enquête "She Said", réalisé par Maria Schrador, retrace les mois de travail acharné de deux journalistes du New York Times, Jodi Kantor (interprétée par Zoe Kazan) et Megan Twohey (Carey Mulligan), pour mettre en lumière l’un des scandales les plus importants de leur génération.

Grâce à leur dur labeur et leurs efforts magistraux partagés entre investigations, récolte des déclarations et preuves probantes, recherche des sources, barrières juridiques et intimidations, elles dénoncent les abus sexuels du producteur Harvey Weinstein. Avec une rigueur journalistique et une grande sensibilité face à des femmes que la honte a fait taire pendant si longtemps, elles libèrent leur parole et brisent des décennies de silence.

Contactée par la production, Ashley Judd accepte de jouer son propre rôle dans le film. L’actrice fut la première femme à accepter que son identité soit publiquement révélée par les journalistes. Son nom, associé noir sur blanc à son témoignage, donne à l’article la force nécessaire pour libérer la parole et briser l’anonymat.

La cinéaste Maria Schrader ("Unorthodox", 2020 ; "I'm Your Man", 2022) confie que "les conséquences de cet article et le mouvement qu’il a initié ont été énormes. Bien sûr, il y a les changements évidents : la façon dont les studios, les festivals de films ont fait des efforts, notamment au niveau de la diversité et de l’inclusivité, ce qui est très encourageant et provoque des opportunités. Mais ces changements dépassent de loin le cadre d’Hollywood. Le changement le plus significatif est peut-être la manière dont les hommes, autant que les femmes, commencent à porter un regard différent sur leur rapport personnel au harcèlement ou aux abus sexuels. C’est à ce niveau bien plus intime que le changement a vraiment été conséquent, je pense. Nous sommes plus libres aujourd’hui de partager nos expériences." (Propos recueillis par Emmanuel Itier et Roxanna Bina, AlloCiné) 

Ashley Judd est une actrice et militante féministe américaine. Elle est révélée par le film "Ruby in Paradise", au grand succès critique et récompensé par le Grand Prix du Jury du Sundance Festival de 1993.

Depuis de nombreuses années, elle parcourt le monde dans le cadre de missions humanitaires, pour aller à la rencontre des populations les vulnérables et les plus pauvres. Ses actions étant principalement axées sur l’égalité des sexes, la santé et les droits sexuels et reproductifs des femmes, elle s’attache tout particulièrement, pendant ses voyages, à venir en aide aux femmes et aux filles les plus démunies.

Ambassadrice officielle de l'association YouthAIDS, qui fournit une aide humanitaire et sensibilise le monde sur le SIDA, elle fonde en 2005 un centre de dépistage au Cap, en Afrique du Sud. Elle est depuis devenue une militante pour la prévention de la pauvreté et de la sensibilisation au niveau international, et a rencontré des dirigeants politiques et religieux au nom des populations démunies pour obtenir des changements politiques et sociaux.

En 2010, interrogée par la chaîne d’information CNN sur ses actions humanitaires, elle témoigne publiquement des conflits en République démocratique du Congo, et de la connexion entre les intérêts financiers issus de l'exploitation de minerai qui servent à la fabrication d'appareils électroniques et l'usage du viol comme arme de guerre contre les filles et les femmes congolaises.

La même année, elle publie ses mémoires intitulés "All That Is Bitter and Sweet", un ouvrage qui sera salué par de nombreuses personnalités. Elle y révèle pourquoi elle a souhaité s’engager pour les personnes les plus marginalisées : le traumatisme de sa propre enfance, marquée par la violence, l'abandon et les addictions, et sa guérison à la suite de plusieurs années de thérapie, l’ont finalement portés à venir en aide aux autres.

En 2011, elle rejoint le Conseil de Direction du Centre International de Recherche sur les Femmes. Judd est aussi membre du conseil consultatif d'Apne Aap Women Worldwide, une organisation qui lutte contre le trafic sexuel et la prostitution intergénérationnelle en Inde. Elle vient également en aide aux organisations Women for Women International et Equality Now.

Active sur le circuit des conférenciers, elle donne plusieurs discours sur l'égalité des sexes, les abus et les sujets humanitaires.

En 2016, elle est nommée ambassadrice de bonne volonté de l'UNFPA, le Fonds des Nations Unies pour la population, chargée d’améliorer la santé sexuelle, reproductive et maternelle dans le monde entier. En mai 2018, elle visite les projets de l'UNFPA pour les femmes et les filles touchées par des crises humanitaires en Jordanie, en Turquie, en Ukraine et au Bangladesh, ainsi que son travail de développement en Inde et au Sri Lanka.

En 2017, Judd devient une figure de la Marche des Femmes sur Washington, en galvanisant la foule en colère avec son interprétation de "Nasty Woman" de la jeune poétesse Nina Donovan.

Elle s’implique également dans les mouvements Me Too et Time's Up, et devient, en 2018, la marraine et modératrice de l'événement international "#MeToo & prostitution : Les survivantes brisent le silence !", organisé à Paris par les associations Osez le féminisme !, CAP International et le Mouvement du Nid, ayant pour objectif de donner la parole à des militantes abolitionnistes rescapées de différentes formes de prostitution.

 

Megan Twohey est une journaliste américaine travaillant pour le New York Times. Elle écrivait auparavant des reportages d'investigation pour Reuters, le Chicago Tribune et le Milwaukee Journal Sentinel.

Ses reportages d'investigation ont mis en lumière de nombreux scandales, ont conduit à des condamnations pénales et ont contribué à susciter de nouvelles lois visant à protéger les personnes et les enfants vulnérables.

En 2009, dans le Chicago Tribune, elle alerte sur le fait que plusieurs services de police de la banlieue de Chicago ne soumettaient pas tous les kits de viol à des tests. L'année suivante, l'Illinois devient le premier État américain à exiger que tous les kits de viol soient testés, suivi par la suite par de nombreux autres états.

Entre 2010 et 2011, elle publie, dans le Chicago Tribune, une série d'articles détaillant les cas de médecins qui avaient été condamnés pour des crimes violents ou sexuels et qui continuaient à exercer leur profession et à abuser de leurs patients. Ses reportages furent reconnus comme ayant conduit à l'adoption de nouvelles lois et politiques dans l'Illinois visant à protéger les patients, comme l'obligation de vérifier les antécédents des prestataires de soins de santé.

En 2013, elle publie un rapport d'enquête dans Reuters News exposant comment certaines personnes en Amérique utilisaient Internet pour trouver des endroits où abandonner leurs enfants adoptés. Son travail d’investigation et de révélation de ces réseaux clandestins fut récompensé par un Sydney Award et le Michael Kelly Award.

En 2016, au New York Times, elle collabore avec Michael Barbaro pour la publication de plusieurs articles d'investigation sur l'inconduite sexuelle du candidat à la présidence de l'époque, Donald Trump. Elle a continué à rendre compte de ces incidents en 2017, malgré les menaces de Trump de poursuivre le New York Times s'il ne retirait pas les articles, ce que le journal a refusé de faire.

 

Jodi Kantor est une journaliste américaine, correspondante du New York Times, dont le travail porte principalement sur le lieu de travail, la technologie et le genre.

Elle a également été la rédactrice en chef de la section Arts & Leisure du New York Times, alors âgée de seulement 28 ans, faisant d’elle la plus jeune personne à avoir dirigé une section du célèbre journal.

Son article de 2006, "On the Job, Nursing Mothers Find a 2-Class System", sur le fossé entre les classes sociales et l'allaitement maternel, a inspiré la création des premières stations d'allaitement autonomes, désormais installées dans des centaines d'aéroports, de stades et d'autres lieux de travail aux États-Unis.

Elle publie des reportages sur le traitement des femmes à Wall Street et dans l'Église Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. Suite à sa publication, le doyen de la Harvard Business School, Nitin Nohria, a présenté ses excuses à toutes les anciennes élèves pour les expériences négatives que nombre d'entre elles ont vécues à Harvard, et s'est engagé à augmenter le nombre d'études de cas avec des protagonistes féminins.

En 2007, Kantor se tourne vers la politique pour le magazine Times. Elle couvre notamment la campagne présidentielle de 2008 et la biographie de Barack Obama. Elle écrit certains des premiers articles sur Michelle Obama, le rôle des filles Obama dans la carrière de leur père, le rôle du basket-ball dans la vie du Président, sa relation avec le révérend Jeremiah Wright et sa carrière de professeur de droit constitutionnel.

En 2009, elle coécrit l'histoire des racines esclavagistes de Michelle Obama et rédige un article de couverture pour le New York Times sur leur mariage, pour lequel elle interview le Président et la Première Dame dans le bureau ovale.

Kantor est aussi l'auteur du livre "The Obamas", publié en 2012, qui rend compte de l'adaptation du couple présidentiel au nouveau monde de la Maison Blanche, révélant la lutte initiale de Michelle Obama et son éventuel revirement dans son rôle.

Les éloges et les bonnes critiques fusent. Les journalistes qualifient le livre de "profondément documenté et nuancé", "largement sympathique" et "perspicace et évocateur, riche en détails".

Pour Ezra Klein, du Washington Post, il s’agit de "l'un des meilleurs livres sur la Maison Blanche", "sérieux et réfléchi sur la présidence moderne".

Dans le New York Times, Connie Schultz fait l'éloge du livre : "Journaliste méticuleuse, Mme Kantor est à l'écoute de la nuance des petits gestes, de l'importance des vérités non dites. […] Mme Kantor a également - et c'est là un point essentiel - une grande estime pour les femmes, et c'est pourquoi son livre est le premier livre sur la présidence Obama à accorder à Michelle Obama la place qui lui revient."

Kantor explore également la façon dont la technologie change le lieu de travail. En 2014, son article "Working Anything but 9 to 5", sur une barista de Starbucks et mère célibataire luttant pour suivre un horaire de travail fixé par un logiciel automatisé, a incité la chaîne de cafés à réviser les politiques d'horaires pour 130 000 travailleurs à travers les États-Unis.

En 2015, elle publie, avec David Streitfeld, "Inside Amazon", un article sur les méthodes de gestion des employés en col blanc de l'entreprise Amazon. L'article suscite une réponse de Jeff Bezos, bat le record absolu du journal pour les commentaires des lecteurs, incite les anciens employés de l'entreprise à venir raconter leurs expériences en ligne, et déclenche un débat national sur l'équité et la productivité sur le lieu de travail dans le domaine technologique.

En 2016, elle coécrit "Refugees Welcome", passant 15 mois à chroniquer comment des citoyens canadiens ordinaires ont adopté des dizaines de milliers de réfugiés syriens. La série gagne des millions de lecteurs et des éloges du monde entier, notamment du Premier Ministre Canadien, Justin Trudeau, qui la qualifie de "remarquable et très humaine."

Jodi Kantor a été récompensée par le Columbia College, le PEN America, le Feminist Press et le Los Angeles Press Club. En 2004, le magazine Crain’s la classe parmi les 40 New-Yorkaise les plus influentes et prometteuses. Hollywood Reporter la nomme l'une des femmes les plus puissantes du divertissement, et ReCode comme l'une des personnes les plus influentes dans le domaine des médias ou de la technologie, en 2017. En 2018, elle reçoit le prix George Polk et la médaille McGill pour le courage journalistique du Grady College of Journalism.

Megan Twohey et Jodi Kantor, le 5 octobre 2017, publient un rapport sur le célèbre producteur hollywoodien Harvey Weinstein détaillant des décennies d'allégations d'abus sexuels. Plus de 80 femmes l’accusent publiquement de les avoir agressées ou abusées sexuellement. Cela a conduit au licenciement de Weinstein et a contribué à enflammer le mouvement viral Me Too lancé par l'activiste américaine Tarana Burke.

Leur travail est honoré en 2018, lorsque le New York Times reçoit le prix Pulitzer 2018 pour le service public. Twohey et Kantor remportent, elles aussi, le prix George Polk et sont nommés dans la liste des 100 personnes les plus influentes de l'année par le magazine Time.

 

En 2019, elles collaborent sur l’écriture d’un livre relatant leur rapport sur Weinstein, intitulé "She Said". Le livre est adapté au cinéma en 2022, avec le film éponyme réalisé par Maria Schrador.

Article écrit par Julie Poutrel pour Adama Toulon. 

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