Shina Novalinga - Etudiante Canadienne et Activiste Inuite

Shina Novalinga - Etudiante Canadienne et Activiste Inuite

Shina Novalinga est une étudiante canadienne et une activiste inuite.

Depuis avril 2020, à seulement 22 ans, elle revendique fièrement son héritage culturel et compte aujourd’hui 4 millions d’abonnés sur TikTok et 2 millions sur Instagram. Des habits traditionnels aux chants de gorge, en passant par la nourriture et les coutumes traditionnelles, elle se sert des réseaux sociaux pour partager sa culture inuite, une culture ancestrale et méconnue, et tente de sensibiliser les jeunes générations à la cause indigène.

 

Née en 1998 à Puvirnituq, un petit village du Nunavik situé au nord du Québec, elle déménage à Montréal lorsqu'elle a quatre ans et se décrit comme étant mi-inuit et mi-québécoise. Ainsi, elle apprend à parler l'inuktitut et commence à chanter de la gorge à l’âge de sept ans, aidée par sa mère, Kayuula Novalinga, une chanteuse de gorge professionnelle.

 

Elle sort diplômée en gestion des affaires du Collège John Abbott, au Québec, au printemps 2021, puis à l’automne 2021, commence un programme d'un an en études inuites au Nunavik Sivunitsavut à Montréal.

 

Dans ses vidéos, elle est souvent accompagnée de sa mère, notamment pour les chants de gorge, car il s’agit d’une pratique presque exclusivement féminine, impliquant deux femmes face à face qui se tiennent les bras et utilisent leur gorge et de profondes respirations pour créer des sons et former une harmonie naturelle. Le chant de gorge se termine généralement par un rire. Shina explique qu’il s’agit d’une "pratique très informelle. Même si l’on dit parfois que c’est une compétition, on ne le prend pas trop au sérieux. C’est un passe-temps qui nous reconnecte avec nous-mêmes, avec l’autre et avec la nature".

Elles imitent le son de la nature, ceux des animaux, "on chante avec la gorge et avec le cœur" et "on se connecte vraiment avec notre spiritualité grâce à notre voix et aux vibrations que l’on crée". Ce chant peut avoir plusieurs significations, il peut être utilisé "pour gagner un objet ou même un homme. Les vibrations aidaient aussi les enfants à s'endormir."

C’est une tradition musicale propre aux peuples inuits, oublié du grand public et qui a failli complètement disparaitre à l’arrivée des colons britanniques au 16e siècle, car ils considéraient cette pratique comme démoniaque. Elle fut d’ailleurs interdite par les missionnaires chrétiens au début du 20e siècle. "Nous avons quasiment perdu toute une partie de notre culture. Ma mère a eu la chance de recevoir un enseignement de la part d’une aînée. Elle m’apprend à son tour, et aujourd’hui, je veux changer la façon dont les gens perçoivent cette tradition". "Nous la reprenons maintenant et la transmettons pour la maintenir en vie. Le chant de gorge nous permet de nous connecter au son de la nature et des animaux. Il nous permet également de nous connecter avec nos ancêtres, notre âme et notre voix. Le lien entre ma mère et moi se renforce lorsque nous chantons ensemble. C'est toujours un moment magnifique pour nous."

Par ailleurs, en juin 2021, Shina a sorti un album, "Mother and Daughter Throatsing", avec sa mère et le producteur canadien Simon Walls, consacrée exclusivement au traditionnel chant de gorge. "Nous chantons des chants de gorge pour ceux qui ne pouvait pas", dit-elle dans l’une de ses vidéos TikTok.

 

Outre le chant de gorge, Shina met aussi en avant d’autres pans de sa culture, comme les vêtements traditionnels, confectionnés par sa mère selon la tradition inuite, parkas (atigik), mouffles (paaluk), chapeaux (nasaks), bottes (kamiks), mais aussi des bijoux et des accessoires traditionnels.

Afin de promouvoir ces arts inuits, elle a aussi lancé sa propre boutique de vêtements et bijoux inuits. Encore en développement, elle n’y propose pour le moment que quelques articles, notamment des boucles d’oreilles en peau de phoque qu’elle crée elle-même.

Elle reconnait que cela peut être difficile à entendre aujourd’hui, avec toutes les associations et les mouvements de défense des animaux, mais tient à rappeler que [contrairement à d’autres cultures plus "popularisées"] "nous ne chassons pas pour le plaisir, mais pour survivre, car les prix sont très élevés dans les régions nordiques. Les gens ne comprennent pas forcément cela et nous disent parfois des choses très blessantes. Nous chassons de façon éthique et nous utilisons toutes les parties de l’animal. Tous nos vêtements sont faits main : le haut que je porte par exemple en ce moment, en peau et fourrure de phoque, a été fait par ma mère."

Elle souhaite également, par le biais de sa boutique, pouvoir aider les jeunes créateurs inuits à vendre leurs produits. "Nos bijoux sont si beaux. C’est important de diffuser et de partager notre savoir-faire."

Par ailleurs, en 2021, Shina a posé pour une campagne publicitaire de la marque Sephora mettant en scène des modèles et une équipe entièrement composée d’indigènes, à l'occasion du Mois National de l'Histoire Indigène au Canada. En 2022, elle a aussi fait l'objet d'un reportage dans le magazine Elle Canada, où elle a posé pour des créations de la designer inuite Victoria Kakuktinniq.

 

Shina partage également les légendes inuites, les coutumes et les repas traditionnels, comme le béluga qu'elle affectionne particulièrement. "On mange le Béluga complètement cru, on ne le cuisine pas, c'est très sain". Elle ajoute à l’intention des personnes soutenant la cause animale : "Le béluga a eu une vie sauvage heureuse, et s'il vous plaît, tous ceux qui commentent en disant que c'est cruel, que les bélugas sont mignons, nous sommes entièrement d'accord ! Ce sont des créatures intelligentes, elles sont belles, et nous sommes très reconnaissants de ce qu'elles donnent à notre communauté."

 

Elle porte aussi à l’attention de sa communauté les clichés que l’on peut avoir sur la culture inuite, comme le célèbre baiser esquimau par exemple, ainsi que les violences et abus subis par son peuple.

Le "vrai" baiser esquimau n’a rien à avoir avec le fait de se frotter nez contre nez. "Vous devez arrêter de dire que ça, c'est un baiser esquimau". Elle se lance ensuite, avec sa mère, dans une démonstration filmée : le "baiser esquimau" est en fait une pression appuyée du nez et de la lèvre supérieure sur la joue de la personne que l’on embrasse.

 

Elle évoque aussi, de manière très frontale, les discriminations subies par les Inuits depuis l’arrivée des colons : acculturation, enfants arrachés à leur famille, marginalisation des tatouages traditionnels… "On a souvent l’impression que la situation est parfaite au Canada, mais il y a encore tellement de choses à faire. Les Inuits n’ont pas beaucoup de droits. J’ai rencontré beaucoup de personnes au Québec qui ne savaient même pas ce que voulait dire être Inuk [le singulier du mot Inuit qui signifie "personne" en langue inuktitut]. Ils pensent parfois que nous venons d’un autre pays. C’est donc très important de sensibiliser les gens, sinon personne ne prend vraiment acte de notre existence."

La situation est encore plus dramatique pour les femmes inuites, indigènes, qui sont surreprésentées dans les cas de violences conjugales, de disparitions et de meurtres, et font face à un taux de violence 14 fois plus élevé que les autres femmes au Canada. Pour leur venir en aide, Shina et sa famille ont lancé, fin 2020, une collecte de fonds sur les réseaux sociaux. En seulement deux mois, plus de 12 000 dollars ont été récoltés. Cette somme a permis l’achat de masques, de gants, de nourriture et de produits d’hygiène pour des centaines de femmes indigènes accueillies dans les foyers de Montréal.

Shina confie qu’elle n’a pas pu les rencontrer à cause de la pandémie du Covid-19, mais espère pouvoir le faire une fois que la crise sanitaire sera passée. "J’ai été élevée par des femmes fortes, belles et indépendantes : s’aider les unes les autres a toujours fait partie de nos valeurs."

Elle crée aussi des vidéos attirant l'attention sur l'histoire oppressive des pensionnats indigènes assimilationnistes et a publié, au cours de l'été 2021, plusieurs vidéos réagissant aux découvertes de tombes de pensionnats indiens canadiens. Ces pensionnats indiens, ou écoles résidentielles, apparut au cours du 20e siècle, étaient des "centres d’endoctrinements" destinés à scolariserévangéliser et assimiler les enfants indigènes, dans le but final d’éradiquer leur culture.

 

En novembre 2021, elle a partagé sur Instagram ses premières marques faciales, des tatouages symboliques traditionnels inuits appelés Tunniit. Pour Shina, il s’agit d’une marque triangulaire sur chaque joue et d’une ligne verticale sur son menton. "Hier était un jour très spécial pour ma mère et moi, qui avons reçu notre premier tatouage facial, le Tunniit. Une tradition que nous, les Inuits, sommes en train de reconquérir. Personne ne peut nous enlever notre pouvoir et notre identité. Je suis et je serai toujours fière d'eux. Je pense à ma grand-mère et à nos ancêtres, à ce qu'ils ressentent en ce moment, à ce qu'ils pensent en ce moment. Cela fait plus d'un an que je pense à les avoir et j'étais prête. Elles ont tellement de significations, mais je ne suis pas prête à les partager pour le moment. Tout ce que je peux dire, c'est que je suis connectée spirituellement avec mes ancêtres, avec nos déesses et notre peuple."

L’artiste qui a réalisé ces marques, Zorga Qaunaq, a utilisé une méthode traditionnelle de frappe à la main pour appliquer l'encre. Après avoir fait ses Tunniit, Shina a reçu de nombreux messages à ce sujet, et ils n’étaient pas tous positifs. "Beaucoup de personnes m'ont dit que je le regretterais et que cela ruinerait mon visage, ma "beauté". Je ne suis pas de cet avis."

 

Shina n'a jamais caché son désir d'éduquer les autres sur la culture et l'histoire inuites. Elle ajoute fréquemment des "tournures indigènes" aux tendances TikTok afin de partager sa culture, et a collaboré avec des créateurs Cris, l'un des peuples algonquiens d'Amérique du Nord, dont le danseur de cerceaux James Jones et le mannequin Michelle Chubb.

 

Malgré le succès de ses vidéos et les réactions positives face aux révélations de cette culture ancestrale, Shina doit faire face à de nombreux commentaires négatifs, moqueurs et parfois racistes. "C’est une nouvelle façon de nous censurer. Mais il y a aussi tellement de retours positifs. Les gens nous envoient des messages des quatre coins du monde pour nous dire qu’ils apprécient notre culture. Cela nous pousse à faire plus de vidéos pour montrer aux jeunes indigènes qu’ils ne doivent pas avoir honte de ce qu’ils sont."

 

En novembre 2020, lors d’une interview pour le magazine Vogue, Shina confie qu’"au départ, je me suis lancée sur TikTok pour le plaisir, mais ça a évolué lorsque j’ai commencé à sensibiliser mes abonnés à ma culture indigène. […] Il est important pour moi de transmettre cela aux autres via TikTok, car peu de gens connaissent notre histoire ou la culture inuite. Elle a toujours été mise de côté. Mon objectif est de changer cela et de ne pas avoir peur d’en parler."

Elle confie à Radio-Canada qu’il est d’autant plus important de partager cette culture, selon elle, car les pratiques culturelles du peuple inuit sont vraiment peu connues du grand public. "Plusieurs personnes que je rencontre ne savent pas que dans leur province, il y a des Inuits ainsi qu’une culture et une réalité toujours bien vivante et différente de la leur."

 

Aujourd’hui âgée de 24 ans, Shina a entamé à la rentrée 2021 un cursus en études autochtones pour en apprendre davantage sur sa culture, son histoire et son héritage, et souhaiterait pouvoir revenir dans son village natal afin de se reconnecter à sa communauté.

"Je veux pouvoir dire aux jeunes indigènes qu’ils sont magnifiques, qu’ils sont importants, qu’ils sont capables de tout. Notre culture est si riche. Je veux réaliser un changement positif."

 

Article par Julie Poutrel pour Adama Toulon

 

 

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